Interview de Ludovic BLANC

Interview Ludovic Blanc

Ganaëlle SOUSSENS

Bonjour Ludovic, peux-tu te présenter en quelques mots, s’il te plaît ?

Ludovic BLANC

Ludovic Blanc, avocat au barreau de Paris en droit social, originaire de Lyon. J’ai prêté servant fin 2011 à Lyon avant de m’inscrire au barreau de Paris en début d’année 2012.

G.S.

Pourquoi Paris ?

L.B.

Parce qu’une opportunité s’est présentée dans le cabinet dans lequel j’évoluais déjà à l’époque. J’avais aussi des raisons personnelles…

J’ai donc débuté, comme collaborateur à Paris, en février 2012 dans ce cabinet de niche dans lequel j’avais déjà quelques années d’expérience comme stagiaire, juriste et élève avocat, à Lyon.

G.S

Dès avant de prêter serment, tu avais déjà des engagements associatifs.

L.B.

Oui ! Après avoir présidé l’association des élèves de mon M2, j’ai présidé l’Association des élèves avocats de l’école de la région Rhône-Alpes (ADEA). J’ai vice-présidé la Fédération nationale des élèves-avocats (FNEA) concomitamment.

Je pense que la chose associative m’anime depuis toujours. Je me suis aussi intéressé assez tôt à la politique, au sens plus large, mais l’associatif m’a suivi dans tout mon cursus universitaire, aussi loin que je me souvienne.

Dès mes premières années de barreau, j’ai suivi quasiment chaque année toutes les campagnes pour le Conseil de l’Ordre / Bâtonnat / CNB et j’ai adhéré assez rapidement à l’ACE, j’en suis membre depuis presque aussi longtemps que je suis avocat !

G.S.

Quand tu es en M2, qu’est-ce qui t’anime à ce moment-là pour devenir le président de l’association de ce master ?

L.B.

Je crois que je me suis toujours beaucoup nourri des relations humaines. On dit souvent qu’on apprend à travers les livres et les voyages, mais on apprend aussi énormément au travers des personnes. Et en tout cas, c’est mon cas. Et avec nos métiers, je l’avoue, ne plus avoir beaucoup le temps de lire. Et les voyages sont plus compliqués quand on est jeune parent… Donc il me reste les personnes ! En vérité, je me nourris énormément des relations humaines.

À l’époque au Master 2, l’associatif était facile parce que nous étions une petite promotion. C’était un Master de droit communautaire des affaires – rien à voir avec ce que je fais actuellement.

Il y avait une communauté internationale dans ce Master et on avait quelques projets, notamment de découverte des institutions européennes. Assez rapidement, on m’a poussé à prendre la présidence de l’association, parce que j’avais quand même déjà quelques contacts et réseaux sur Lyon et je connaissais déjà quelques opportunités d’aller lever des fonds auprès des avocats qui étaient nos professeurs, notamment en obtenant leurs taxes d’apprentissage qui nous permettaient de nous financer😊

G.S.

Aujourd’hui ta pratique c’est le droit social avec un angle en particulier ?

L.B.

Oui absolument, du droit social au sens large puisque cela couvre le droit du travail avec les problématiques individuelles et collectives, cela couvre aussi la protection sociale complémentaire, les problématiques de mutuelles, frais de santé, prévoyance, un tout petit peu de retraite…

Mais plus spécialement aujourd’hui, la niche dans laquelle je m’inscris, c’est la négociation collective de branches professionnelles, donc au niveau des conventions collectives. C’est assez atypique.

Je me suis installé en tant qu’individuel il y a un peu plus de six ans maintenant. Les clients sont arrivés assez vite. J’ai même dû freiner le « commercial » parce qu’il a fallu produire 😊

Je continue à évoluer dans ce milieu-là avec beaucoup de plaisir parce qu’on est à cheval entre le juridique, le politique et le social : dans les conventions collectives, il y a beaucoup de « contractuel », on négocie entre syndicats et patronat, on a une certaine marge de manœuvre puisque le Code du travail laisse une assez jolie part à la négociation à ce niveau-là de la norme juridique, et les interlocuteurs de part et d’autre sont des personnes assez expérimentées. Et donc le niveau des discussions est assez intéressant et stimulant.

Et on s’intéresse aussi tout simplement à des sujets d’actualité, de société.

Je crois que c’est ce qui m’a fait d’ailleurs basculer dans le droit social puisque ce n’était pas ma formation initiale. C’est ce mix entre le juridique, le politique et le social. Il y a aussi beaucoup d’humain dans le droit social évidemment, même au niveau des négociations de branche ou du conseil, puisqu’on négocie sur les salaires, sur l’égalité professionnelle, le handicap, la formation professionnelle, la prévoyance. Tout ça m’anime encore beaucoup aujourd’hui !

G.S.

J’ai un peu de mal à imaginer quel est le rôle d’un avocat dans ce cadre-là.

L.B.

Pour plusieurs branches professionnelles, j’accompagne les organisations patronales représentatives.

Je les conseille à la fois en termes d’opportunités de négociation, de cadrage juridique de certaines dispositions négociables. J’interviens parfois aussi soit en rédaction, soit en relecture des accords négociés et ensuite conclus au niveau de la branche considérée. Je les aide aussi à se structurer en tant qu’organisations professionnelles qui jouent leur place autour de la table des négociations à chaque nouveau cycle électoral ! Ce travail de stratégie long terme n’est pas anodin.

J’ai une autre fonction un peu plus particulière et qui est je crois assez unique sur le marché : je suis Secrétariat technique d’une branche professionnelle. En général, cette fonction est confiée au collège patronale ou à une structure paritaire. Mais il y a une branche professionnelle qui s’est historiquement dotée d’un Secrétariat technique externalisé, confié dès l’origine à des avocats. Depuis que j’ai mon Cabinet, c’est donc moi, en tant qu’avocat, qui gère le Secrétariat technique d’une branche professionnelle du secteur des services qui couvre plus de 20.000 entreprises et environ 200.000 salariés.

C’est une fonction particulière puisqu’en qualité de Secrétaire technique, je siège à toutes les instances de négociation paritaire de branche, en particulier dans l’instance principale la CPPNI (Commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation). C’est celle-là qui produit la norme dans les conventions collectives. J’interviens aussi dans les autres commissions : prévoyance, santé, formation professionnelle, etc. Dans ce rôle-là, je gère les aspects logistiques, administratifs et techniques. Je couvre en fait tous les besoins qu’a cette branche pour tenir effectivement ses obligations en matière de négociations et de rendez-vous réglementaires.

G.S.

On est loin du conseil des prud’hommes !

L.B.

En effet. J’ai d’ailleurs une activité contentieuse mais assez réduite. D’abord parce que j’ai été principalement formé au conseil et que je trouve cette prestation très enrichissante d’un point de vue intellectuel et humain. Ensuite parce qu’en tant qu’entrepreneur, le contentieux côté employeur reste toujours compliqué en termes d’équilibres économiques.

Surtout que je suis quelqu’un qui n’arrive pas à se limiter dans son travail quand il croit à ses dossiers et… je crois à tous les dossiers que je prends ! Donc je n’arrive pas à me limiter à un seuil de rentabilité en contentieux… C’est aussi la raison pour laquelle je réduis mon activité contentieuse pour me concentrer sur les sujets où je pense aussi avoir ma plus grosse plus-value aujourd’hui : l’accompagnement à la négociation collective et à la gestion des relations sociales complexes.

G.S.

Comment as-tu développé ton activité ? Et comment la développes-tu aujourd’hui ?

L.B.

Avant d’être avocat, j’ai travaillé 4-5 comme stagiaire, juriste, élève avocat. J’ai été collaborateur pendant 4-5 ans également. Dès que j’ai intégré la profession d’avocat, j’avais un projet entrepreneurial : m’installer ou m’associer à terme. On est une profession libérale et indépendante, donc nécessairement entrepreneur, d’une manière ou d’une autre !

C’est vraiment cette notion-là qui m’animait. Dès que j’ai été collaborateur, j’ai développé de la clientèle. Cette clientèle que je traitais quand j’avais le temps de le faire… À ce moment-là, je répondais aux demandes de mes clients. Mais je n’allais pas au-delà de ce que l’on me demandait parce que je n’avais pas le temps.

Quand je me suis installé, j’ai réalisé qu’il était facile – et normal ! – de finir une consultation par des suggestions à son client « Est-ce que vous avez pensé à faire cela ? Est-ce que vous avez vraiment bien fait ceci ? »… Là, j’ai pu véritablement exploiter la clientèle que j’avais développée doucement en tant que collaborateur libéral et, finalement, entrer dans une véritable relation client telle que je la cultive aujourd’hui.

J’ai aussi eu un effet d’installation, on le dit souvent et c’est vrai : l’installation entraîne avec elle une communication et l’entrée de clients, de dossiers. Si tu communiques à cet effet, il y a des fruits assez immédiats. Mais cela se cultive !

Depuis mon installation en 2016-17, j’ai eu une croissance permanente sans véritablement communiquer. Le fameux « bouche à oreille » a produit ses pleins effets me concernant, principalement grâce à mes clients.

Et d’une année à l’autre, j’avais toujours des clients plus fidèles. Je contractualise beaucoup avec mes clients. Je leur propose des abonnements en général. J’ai des abonnements annuels qui sont réitérés quasiment chaque année pour la plupart d’entre eux.

Cette clientèle fidèle, stable, me permet de développer des services nouveaux au fil de l’eau. Et c’est extrêmement agréable de travailler dans ces conditions. Je crois que mes clients aussi apprécient beaucoup cette relation.

G.S.

C’est dans cet esprit que tu as imaginé OBBOT?

L.B.

Oui, j’ai monté mon petit robot dopé à l’IA qui s’appelle OBBOT. Quand tu as un périmètre que tu connais très bien, que tu en es un spécialiste, je pense que tu peux aller sur tous les terrains de ce périmètre-là sans te dévoyer et, au contraire, en faisant valoir ton expertise de différentes manières.

Ce robot-là, je l’ai nourri de la convention collective dont je suis le Secrétaire technique. C’est moi qui rédige les accords, donc j’ai donné à ce petit robot toute la matière utile. Il me bluffe parce qu’il répond parfaitement bien à des questions. Il sait chercher une information dans une masse d’infos, il a digéré 2 millions de mots, plus de 400 textes et il arrive à me retrouver très rapidement la réponse dans cet amoncellement de mots… OBBOT est toutefois encore assez limité et se trompe parfois, comme c’est encore beaucoup le cas en l’état de la science des IA connues…

En créant OBBOT, je montre que l’on peut tous s’emparer de l’IA. Il faut trouver l’idée, répondre à un besoin voire le créer. Dans mon cas, le besoin est très clair : dans la branche professionnelle que j’accompagne, je sais très bien que les petites entreprises, très nombreuses dans cette branche, ne viennent pas me voir pour me demander de répondre à des questions simples : « quelle est la durée dans la convention collective du préavis du cadre ? » par exemple.

Le robot est un moyen de répondre à cette question et de faire venir cette clientèle potentielle jusqu’à mon Cabinet. Il me permet de proposer une première réponse juridique qui ne sera pas directement une réponse d’avocat, ce qui sera clairement expliqué à l’utilisateur dans l’offre à laquelle je suis en train de réfléchir.

Je veux le vendre comme une prestation d’avocat parce que c’est un avocat qui donne la matière au robot et c’est l’avocat qui va éventuellement intervenir derrière, après le robot, si le client n’est pas certain de la pertinence de la réponse ou si celui-ci, tout simplement, ne sait pas.

G.S.

Tu travailles avec des développeurs pour faire grandir OBBOT ?

L.B.

Oui. On a retenu la technologie OpenAI. Elle va d’ailleurs évoluer prochainement. Je suis ça d’un œil attentif puisque les évolutions sont très prometteuses.

Cette solution me permet de conquérir un nouveau marché et, pour l’avocat, peut être reconquérir le marché de l’information juridique. J’adore. Mais voilà, je constate que l’outil doit encore se perfectionner, beaucoup apprendre. Même si les choses évoluent très vite, on voit en pratique que l’homme reste la source la plus fiable. Je vois donc plutôt cet outil comme un supplément d’activité, qui me permet en l’occurrence de (re)conquérir un marché que je ne pouvais pas aller chercher en l’état de mes prestations et du fonctionnement du Cabinet. C’était même impensable.

G.S.

Quel est le coût de ce robot ?

L.B.

Le coût représente à ce stade quelques milliers d’euros pour la création du robot. Mais, il y a aussi le coût de l’entretien, des serveurs, de la maintenance, etc. Il a fallu créer un petit logo adapté, une nouvelle page internet dédiée, avec des accès clients, etc.

Il y a aussi les coûts indirects : mon temps à moi passé sur la machine que je n’ai pas spécialement compté… la matière qu’on lui fournit, parfois réadaptée pour être plus compréhensible par la machine…

G.S.

C’est abordable.

L.B.

Plus que je ne le pensais. Mais c’est aussi parce que je m’en suis tenu à une solution assez simple à ce stade. Le marché que j’attaque par ce robot-là, est simple. C’est-à-dire que la branche professionnelle visée par cette convention collective, c’est environ 2 millions de mots, des textes que je connais très bien et un public limité à 20.000 entreprises, dont 90% de TPE. Avec ce robot, je peux leur proposer un abonnement annuel, potentiellement à quelques centaines d’euros.

Multiplié par le nombre d’utilisateurs potentiels, cela peut vite représenter une somme qu’il faudra réinvestir dans la machine pour la faire évoluer, pour lui donner encore plus de crédibilité.

Et, si les tests sont probants, ouvrir l’expérience à d’autres champs…

G.S.

Tu crois en la tech toi aussi  😊

L.B.

Depuis toujours ! Mon état d’esprit est bien résumé par ce dicton : « Quand le vent souffle, certains fabriquent des murs, d’autres des moulins. »

Je vois des confrères qui veulent se barricader devant toute nouvelle techno’, toute nouveauté, ou nouvel acteur… Je fais partie, pour ma part, de ceux qui essayent de réfléchir en se disant, mais comment m’emparer de cette innovation pour ne pas la subir ?

G.S.

Tu as aussi créé le Dix.

Et alors, on peut parler de ton activité accessoire, parce que j’aime bien ça quand les confrères font d’autres choses aussi. Toi, tu exerces d’une manière très étonnante, pour moi en tout cas, je ne connaissais pas du tout cette activité.

L.B.

Oui, j’ai ouvert des locaux sous forme de mini « coworking » d’avocats dans le Xème arrondissement de Paris avec un positionnement un peu atypique. J’ai voulu des espaces où l’on se sente bien immédiatement.

J’en ai besoin : me sentir bien à la fois dans l’atmosphère, dans le côté à la fois pratique et beau, donc le design 😊

Un univers qui est design, qui est arty, qui est végétal aussi, c’est très important. Essentiel même.

J’ai travaillé mes locaux autour de choses qui me semblaient essentielles pour pouvoir être épanoui dans mon quotidien de travail et d’avocat. Tout le monde me disait « mais tu es complètement fou d’acheter tes locaux et de faire quelque chose comme ça post-Covid, les gens sont tous partis de Paris et l’avenir c’est la visio’ ». Je pensais toujours que les gens ont besoin des gens pour vivre… Et que la visio’ ne suffira pas. Qu’elle trouverait rapidement ses limites.

En tout cas, pour l’instant, j’ai relevé mon pari parce que ce projet marche très bien. J’en suis ravi.

Mais je suis aussi un peu frustré aujourd’hui car mes locaux affichent complet… Je refuse donc assez souvent des confrères et consœurs qui viennent me voir. Je me demande s’il ne faudrait pas faire plus grand !

Je trouve aussi une satisfaction dans la réussite de ce projet parce que chaque fois que je fais quelque chose de cette nature, j’essaie aussi de porter un message politique. On le porte d’ailleurs dans la campagne au CNB avec l’ACE pour ce qui concerne la domiciliation des avocats, la localisation du travail de l’avocat… Il y a des réalités qui ne sont pas conformes aux textes en vigueur. Il y a des pratiques qui sont admises même si elles ne sont pas conformes non plus à nos textes… Il faut que tout cela évolue !

G.S.

C’est le sens aussi de ton engagement à l’ACE  ?

L.B.

Absolument, puisque l’ACE défend l’entreprenariat de l’avocat. Nous n’avons pas honte d’être des entrepreneurs, au contraire. Je crois d’ailleurs que ce message que nous portons depuis longtemps est désormais très audible et qu’il fédère de plus en plus de confrères.

L’ACE est également favorable aussi à l’ouverture de nouveaux marchés pour la profession d’avocat, que ce soit en activité accessoire ou pas. Se saisir des nouvelles technologies, des innovations et ne laisser personne de côté. Pour cela, il faudra développer les formations adaptées, cela fait partie du programme des candidats ACE au CNB.

Il faudra encore réfléchir au CNB au développement de technologies qui puissent être plus accessibles à une majorité d’avocats parce que tous ne pourront pas se doter de certains outils et ceux qui n’en auront pas pourraient rester effectivement au bord de la route. Cela n’est souhaitable pour personne au sein de la profession.

Je ne le souhaite pas, l’ACE non plus : nous devons évoluer en même temps que notre environnement socio-économique.

G.S

Pour finir notre conversation, 2 questions :

Qu’est-ce que tu aimes le moins aujourd’hui dans ton activité ?

Et qu’est-ce que tu préfères ?

L. B.

Ce que j’aime le moins aujourd’hui dans mon activité, ce sont les contraintes de l’entrepreneuriat qui s’ajoutent à celles de l’exercice de notre belle profession : la comptabilité, les formalités administratives, les déclarations… Je n’ai pas de phobie administrative, mais quand je vois à quel point il est compliqué, par exemple, de créer une AARPI, d’avoir des réponses claires, précises et concordantes sur le fonctionnement entre elles de structures… Des tonnes et des tonnes de pages à signer, des formulaires à remplir par-ci, d’autres par-là, et que les organismes qui nous interpellent ne communiquent pas entre eux… Tout ça est terrible et m’effraie quand je songe au temps, à l’énergie et à l’argent que cela consomme.

Et ce que je préfère aujourd’hui c’est de vivre une nouvelle aventure entrepreneuriale, en tant qu’avocat, avec mon associée Mathilde. De retrouver des temps de disponibilité pour faire campagne avec l’ACE, par exemple, mais aussi pour lancer des nouvelles solutions sur le marché, de prendre plus de temps avec les clients, imaginer de nouvelles solutions… d’échanger aussi avec les confrères… de vivre en somme !